lundi 3 novembre 2014

En fait, t'es pas vraiment infirmiere

Cette phrase; depuis que j'ai pris mon poste à l'IME, on me l'a dite des dizaines de fois. On me la dit encore environ une fois par mois.
Même prononcée par des personnes que j'aime énormément, qui sans doute ne se rendent pas compte de la violence de leur propos, j'ai toujours trouvé ça méchant, déshonorant, ou même insultant.
Au début, je pensais que ça me blessait du fait de la fraîcheur des 3 ans de souffrance psychologique qu'ont représenté l'IFSI (Souvenez vous).
J'ai toujours l'impression de devoir me justifier dans ma réponse, ou d'avouer à demi-mot qu'ils ont peut être raison, le tout avec une culpabilité palpable.
Aujourd'hui, ça fait 13 mois que je ne suis pas vraiment une infirmière. C'est le temps qu'il m'a fallu pour élaborer une réponse convenable à ces gens qui m'ont dit cette phrase.
(J'entends par convenable: autre chose que "je fais ce que je veux, connasse")
Allons-y.
Alors oui, je pourrais travailler dans un service hospitalier classique et commencer ma journée à 6h45. Me mettre en tenue dans le vestiaire où il fait 45°, prendre une feuille qui traîne et aller dans le bureau infirmier écouter les transmissions de  mes  collègues de nuit. Je prendrais connaissance des patients qui occupent les chambres qui sont sous ma responsabilité, découvrirais pourquoi ils sont là, combien de litres ils ont fait pipi etc. Ne pas voir la matinée passer, gérer 46 trucs en même temps, enchaîner les soins techniques, relationnels, les papiers, etc. Me faire malmener par les médecins, souffler, faire des doigts d'honneur mentaux. Voir enfin 14h arriver, rentrer chez moi, et m'effondrer sur mon canapé.
En effet, je serais vraiment une infirmière. Mais je détesterais mon boulot.

Donc, je suis infirmière en Institut Medico Educatif. C'est à dire dans un établissement qui accueille la journée des enfants ayant un handicap les empêchant de suivre une scolarité ordinaire.
Les enfants sont répartis dans différents services puis groupes, pour leur permettre d'avancer à leur rythme vers une vie qui ne s'annonce pas tendre avec eux. Pour cela, chaque groupe a un ou plusieurs ange gardien à sa tête (on en reparle plus loin).
Mon boulot n'a rien avoir avec l’hôpital, je soigne les maux, parfois avec des mots, d'autres fois avec des placebos, et encore d'autres fois avec du vrai Doliprane. Je mets des pansements, de la pommade, je fais des papiers, je me promène....
Ma journée commence à 9h00, elle se termine à 16h30, et en gros, entre les deux c'est un peu la fête foraine. Tous les jours. Vraiment.
 En effet, c'est assez difficile à imaginer mais je suis contente d'aller travailler environ 95% du temps. (En imaginant que les 5% restant correspondent au jour de mon anniversaire, aux jours où j'aimerais rester dans mon nouveau pyjama piloupilou Bambi et au jour où mes meilleures amies vont à la plage ENSEMBLE sans moi.)
Plusieurs choses contribuent à ce bonheur professionnel:

  • Les enfants. Ils sont 125...certains sont plus âgés que moi, d'autres font 1m de plus que moi, mais ce sont tous des enfants qui sans le vouloir ont compris que grandir c’était un peu de la merde . Ils me font rire, me font des câlins, me disent qu'ils m'aiment, se moquent de ma voix, me font des dessins, m'apportent le thé, cherchent un nouveau bobo à me montrer dès qu'ils me croisent, me racontent des truc que je ne comprends qu'à moitié et parfois souvent ils sont surexcités...mais y'a un truc qui ne s'explique pas qui se produit : je les kiffe tous. (Oui bon certains me font flipper mais je gère). Ils ont ce pouvoir si particulier de rendre mes journées ensoleillées, y compris celles du mois de novembre ou février. 

  • Les chefs. J'ai toujours eu un rapport assez particulier à l'autorité, oscillant entre l'admiration et l'envie de les serrer dans mes bras en leur disant "bon courage". Ici c'est un peu pareil mais en pire. Il y a 3 personnes que j'adule dans la direction. 2 que j'aimerais avoir en mères adoptives (une pour son humour, l'autre pour sa tendresse et les deux pour leur dressing...), et un que j'aimerais avoir en fils adoptif (pour son âme d'enfant). Je pourrais vous parler de leur immense talent pour manager une équipe mais je ne vais pas m'étaler car ça tombe sous le sens. 

  • Les collègues. Alors bien sûr, je vais parler ici de ceux que j'aime. Ils sont en grande majorité, mais comme partout, il y a du boulet dans le lot, voire du boulet de compétition mais bon, on essaye d'oublier et on espère qu'un jour ils se reconvertiront. 
    • La première catégorie sont les anges gardiens aka les éducs qui sont sur les groupes. En gros, ils se souffrent les enfants toute la journée, toute l'année, et parfois plusieurs années de suite.... Parce que moi, en vrai, j'ai une position plutôt confortable, je ne vois les enfants que quand j'ai envie de les voir, ou que quand ils ont un bobo... Eux, ils sont tout le temps avec eux, à les éduquer, surveiller, divertir, rassurer, ouvrir sur le monde, et plein d'autres verbes....mais n'oublions pas que même s'ils sont handicapés, ils sont toujours des enfants, donc toujours potentiellement RELOUS. Et encore je mets "potentiellement" pour être sympa .  Bref, ces collègues là, en plus de faire un travail remarquable sont des personnes qui m'ont réservé un accueil de ouf et avec qui aujourd'hui c'est un plaisir de travailler, pour leurs qualités professionnelles et humaines. 
    • Ensuite viennent les thérapeutes, l'assistante sociale,  les instits... Je pense pouvoir affirmer que je les admire tous, chacun dans leur spécialité. Ce sont tous d'excellents professionnels qui prennent soin des enfants, qu'on sent impliqués dans leurs tâches et qui donnent tout ce qu'ils peuvent pour rendre la vie des enfants plus douce ou plus facile. Certains sont un peu têtus, d'autres en retard, d'autres encore coupent la parole ou ne retiennent rien mais je leur pardonne car ils sont trop top.
Je pourrais faire des mentions spéciales à tous ces collègues qui ont conquis mon coeur tout mou mais je ne pense pas que ce soit l'endroit et puis en plus j'ai pas prévu de faire pleurer dans les chaumières tout de suite. Mais si jamais vous imaginez que vous êtes concernés, je vous aime putain!

Voilà.
J'écris cet article car dans moins de 4 semaines je vais devoir rendre mon tablier de "Pas vraiment infirmière". 
Cette première expérience professionnelle n'aurait , je pense, pas pu mieux se dérouler, et c'est grâce à tout ce que je dis plus haut.
Je vais quitter l'IME le cœur gros, des souvenirs plein la tête, et tout de même le sourire aux lèvres (car sinon ça ne serait pas vraiment moi)
Alors aujourd'hui, je m'en contrefous de ne pas être vraiment infirmière : j'adore mon boulot, et si je pouvais frotter la lampe d'Aladdin, sans aucune hésitation,  je demanderais en premier lieu, de rester 10 ans de plus à mon poste. 
(Et en 2eme, que Ryan Gosling laisse femme et enfant pour venir m'épouser). 
Pauline, en mode nianian